Préconisations de RAIF pour une commission d’enquête

En janvier 2020, à la suite du rapport Zhaw demandé en 2017, sur les pratiques de l’adoption au Sri Lanka entre 1973 et 1997, la Suisse a reconnu les pratiques illicites et a exprimé ses regrets. Au Pays-Bas, à la suite d’une enquête lancée en 2018, sur la période 1967-1998, pour les adoptions réalisées au Brésil, au Bangladesh, en Colombie, en Indonésie et au Sri Lanka, le gouvernement néerlandais a suspendu les adoptions internationales le 8 février 2021. Dans ces deux affaires, les gouvernements ont reconnu de graves abus structurels et avoué que les pays et les intermédiaires étaient au courant de ces dérives. Absence de consentement des parents biologiques, falsification de documents, production de faux… En matière d’adoptions internationales, tous les pays d’accueil sont à ce jour confrontés à la survenance de pratiques illicites.

Pour preuve, en France, de plus en plus d’affaires font état d’irrégularités avérées, notamment au Mali, au Brésil, au Pérou, au Guatemala, mais aussi en République Démocratique du Congo, en Éthiopie, en Centrafrique, en Indonésie, en Haïti ou encore à Madagascar…

On peut également rappeler que la France n’est toujours pas en conformité avec ses obligations internationales : si la Convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale impose, entre autres, que les adoptions fussent réalisées via des opérateurs autorisés, la France permet toujours l’adoption via une procédure individuelle. À ce titre, bien que satisfaits que la proposition de loi visant à réformer l’adoption ait été votée par l’Assemblée nationale et le Sénat, nous attendons sa promulgation avec impatience.

Aussi, depuis février 2021, RAIF réclame une enquête sur les adoptions illégales à l’international en France.

Les scandales qui émaillent régulièrement l’actualité ont mis en lumière une réalité que l’État français ne peut plus ignorer. Aussi, l’annonce faite le 15 décembre 2021 par M. Adrien Taquet, Secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance et des familles auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, de l’ouverture d’une mission d’enquête interministérielle a soufflé un vent d’espoir pour grand nombre de personnes adoptées à l’international en France. Pour autant, il nous semble indispensable de rester vigilants sur la manière dont sera menée cette enquête.

En effet, en France, l’adoption internationale concerne aujourd’hui plus de 100.000 personnes originaires de près de 80 pays différents, sur une période qui s’étend sur plus de six décennies et implique trois ministères (ministère de la justice, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ministère des solidarités et de la santé). Nous avons conscience que cette initiative d’envergure internationale s’annonce complexe et qu’elle nécessitera des ressources et moyens inédits et conséquents.

Au regard de nos vécus en tant que personnes adoptées et parce que nous sommes les principaux intéressés, nous estimons qu’il est nécessaire aujourd’hui de prendre en compte notre parole, nos expériences et nos revendications dans leur pluralité.

  A – Périmètre temporel et géographique de l’enquête

En décembre, M. Adrien Taquet n’a précisé ni la période ni les pays concernés par cette enquête. Dans un souci de vérité et de justice, afin de s’assurer qu’aucun pays où rien n’a encore été démontré, ne puisse être exempt de contrôle, RAIF demande que cette enquête ne se cantonne pas qu’aux seuls pays où des dérives auraient été constatées. En effet, à ce jour des irrégularités ont été révélées dans de nombreux pays comme mentionnés ci-dessus, mais de nouvelles affaires continuent de mettre en lumière des pratiques illégales dans de nouveaux états.  Ainsi, l’association RAÏF, afin d’obtenir une vision globale et détaillée des cas d’adoptions illégales et de déterminer précisément l’impact de la Convention adoption de 1993 sur les adoptions internationales et la baisse des pratiques illicites, demande que :

  1. L’enquête débute aux années 60 car cette époque marque l’émergence de l’adoption internationale comme phénomène social en France et plus largement en Europe avec notamment l’adoption massive d’enfants venus du Québec et de Corée du sud. Dès 1960 encore, de nombreux enfants du Viêt Nam alors en guerre, ont été ramenés en France hors cadre juridique légal. Ce mouvement s’est accentué jusqu’au fameux Babylift de 1975. Cette opération militaro-humanitaire controversée a permis l’évacuation de 3000 enfants du Sud Viêt Nam, en vue de leur adoption plénière aux États-Unis, au Canada et en Australie, dont plus de 200 en France. Or, il s’est avéré que moins de la moitié de ces 3000 enfants étaient réellement orphelins.
    Il est également important de poursuivre l’étude jusqu’à nos jours pour éviter que ne soient éludés les cas d’adoptions illégales plus récentes et que de potentielles victimes ne soient lésées.
  2. Le périmètre de l’enquête comprenne les près de 80 pays de départs concernés par les procédures d’adoption internationales et notamment que, lorsque des irrégularités ont mis en cause un opérateur, les pratiques de ce dernier soient vérifiées dans tous les pays où il a œuvré.
  3. La chaîne de responsabilité depuis le pays d’origine jusqu’au pays d’accueil, soit examinée, en identifiant le rôle et la responsabilité de chacun des acteurs en France et à l’étranger.

B – Fonctionnement et composition de cette commission

RAIF estime par ailleurs essentiel que certaines règles précises de fonctionnement et de composition de la commission, permettant de garantir son indépendance et la qualité de ses travaux,  soient fixées et notamment que :

  1. La future commission soit composée d’experts spécialistes de l’adoption internationale (juristes, historiens, sociologues, psychologues, travailleurs sociaux, politologues, géographes, etc.).
  2. Soient entendus individuellement les représentants de toutes les associations, tous les opérateurs et acteurs de l’adoption, ainsi que les personnes adoptées ou leurs représentants qui souhaitent témoigner.

C – Une enquête pour quelle finalité? 

Enfin, RAIF considère qu’il est nécessaire que la commission ne limite pas ses conclusions à de simples constatations de violations commises par le passé, mais soit à même de formuler des recommandations et propositions sur les mesures de réparations et les adaptations législatives nécessaires et notamment :

    1. La reconnaissance de statut de victime devra permettre de reconsidérer les personnes adoptées non plus comme objet de transaction mais comme sujet de droit.
    2. La mise en place d’un accompagnement psychologique, diplomatique, juridique et administratif gratuit (incluant entre autres, l’aide au retour dans le pays de naissance, l’accompagnement à la recherche des origines via une structure centrale pour toutes les personnes adoptées qui le souhaitent, etc.).
    3. l’autorisation de tests ADN sécurisés et encadrés pour les personnes concernées, qui s’avèrent souvent l’unique espoir d’accéder à la vérité.
    4. la mise en place d’un programme de recherche des origines et des personnes disparues pour toutes les victimes d’abus.
    5. La mise en place d’un cadre procédural spécifique, notamment en matière de prescription pénale,  permettant à ceux qui le souhaitent de pouvoir obtenir l’ouverture d’enquête en lien avec des délits ou des crimes ayant pu être commis dans le cadre de leur procédure d’adoption et qui ne leur ont été révélés, dans certains cas, très longtemps après les faits.

Nous estimons qu’il est indispensable d’inclure dès à présent la parole de personnes adoptées dans leur pluralité afin de mener une réflexion en amont sur les missions et objectifs de cette enquête qui, nous l’espérons,  permettra non seulement de mettre en lumière les pratiques illicites et irrégularités qui ont eu lieu dans le cadre de procédures d’adoption internationales en France depuis 1960, mais aussi de proposer des avancées législatives en France.

S’acquitter de ce devoir de vérité représente la première étape nécessaire vers la reconnaissance des droits des personnes adoptées mais il incombe au gouvernement français de reconnaître ses responsabilités dans le cadre des graves abus que la commission ne manquera pas de mettre en lumière.