Le gouvernement annonce la tenue d’une commission d’enquête sur des adoptions illégales à l’international

TF1 INFO
Publié le 22/12/2021 (Charlotte Anglade)

VICTOIRE – Lors d’une séance publique portant sur le projet de loi Protection des enfants le 16 décembre au Sénat, le secrétaire d’État en charge de l’enfance a annoncé la tenue prochaine d’une commission d’enquête indépendante sur des adoptions internationales illégales ayant eu lieu entre 1973 et 2006. Une des victimes nous a raconté dans quelles conditions son adoption s’est déroulée.

Après des années de silence, de non-dits, voire de mensonges, il s’agit d’une victoire pour les milliers d’enfants adoptés illégalement en France. Lors d’une séance publique au Sénat, Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, a annoncé la prochaine tenue d’une commission d’enquête sur les adoptions illicites « sur le modèle de celle qui avait été consacrée aux enfants réunionnais de la Creuse ». Elle sera menée avec le soutien du ministère des Affaires étrangères et celui de la Justice et devrait débuter « au premier trismestre 2022 ».

En juin, deux associations d’enfants adoptés et de parents adoptants, la Voix des adoptés et Enfance et Familles d’Adoption (EFA) avaient envoyé un courrier de saisine au ministre des Solidarités et de la Santé, au ministre des Affaires étrangères, ainsi qu’au ministre de la Justice, tous trois en charge de l’adoption internationale, pour réclamer la tenue de cette commission d’enquête. Entre 1973 et 2006, alors que les adoptions internationales étaient encore très peu encadrées, de nombreux enfants ont en effet été adoptés dans des conditions floues, voire volés à leurs parents. C’est notamment le cas de Céline Giraud, la fondatrice de l’association La Voix des Adoptés et autrice du livre « J’ai été volée à mes parents », sorti aux éditions Flammarion en 2007.

« Mes parents se souviennent que tout devait aller très rapidement. Avec le recul, on comprend pourquoi. »
Céline Giraud, fondatrice de La Voix des Adoptés

Née en 1980 au Pérou, elle a été enlevée à sa mère par une association caritative péruvienne qui travaillait directement avec l’un des Organismes Autorisés pour l’Adoption (OAA) – associations privées contrôlées par les pouvoirs publics – les plus importants de l’époque. Cette association avait fait croire à sa mère qu’elle allait placer son enfant en pouponnière le temps de se refaire une situation. « Ils prenaient en charge tous les examens médicaux pendant la grossesse et l’hospitalisation pour l’accouchement, au point que ma mère, en situation de précarité, les surnommaient les anges gardiens’. Elle m’a même appelée Doris en hommage à l’une des filles de la famille qui s’appelait Dora », raconte, amère, Céline Giraud à LCI.

« Une fois que ma mère a signé, ils ont disparu avec moi dans la nature alors que je n’avais que trois jours ». Elle a été adoptée 13 jours plus tard par un couple de Français. « Mes parents se souviennent que tout devait aller très rapidement. Avec le recul on comprend pourquoi : il ne fallait pas que la mère biologique ne découvre quoi que ce soit avant que l’adoption soit finalisée », explique la fondatrice de la Voix des Adoptés.

« Ils savaient que nous avions été volés, que des mères nous réclamaient, et ils n’ont pas cherché à trouver de solutions. »
Céline Giraud, fondatrice de La Voix des Adoptés

Céline Giraud ne découvrira finalement la vérité qu’à ses 23 ans, alors qu’elle souhaitait entamer une simple recherche sur ses origines. « Dans mon dossier, il était écrit que ma mère m’avait eue très jeune, que j’étais son premier enfant et qu’elle était en grande difficulté. Je voulais la retrouver pour la rassurer, lui dire que j’allais bien. Et même la remercier de m’avoir permis de vivre dans une famille super où je n’avais manqué de rien », affirme-t-elle en racontant qu’elle avait pu la retrouver grâce au père d’un ami, ancien policier péruvien.

Si les membres de l’association ont été condamnés quatre ans après son enlèvement et ceux d’autres enfants à 25 ans de prison, les familles françaises n’ont jamais été informées de la situation par l’OAA.

« Probablement » des milliers de victimes en France

 

Si Céline Giraud a été volée à sa mère de cette façon, les adoptions illicites ont pu prendre, de 1973 à 2006, bien d’autres formes. En témoignent les récits des enfants adoptés ayant contacté son association, ou qui ont été médiatisés ces dernières années. « Il y a par exemple la méthode basique : celle où l’on annonce à une maman qui accouche que son bébé est mort. Le bébé est déclaré mort à l’état civil, puis remis à l’adoption internationale » explique-t-elle en citant l’exemple de Coline Fanon, qui s’apprête à publier son histoire aux éditions Kennes en novembre, ou de la chanteuse lyonnaise Carmen, qui raconte elle aussi son histoire dans un livre, Le Chant du bouc, paru aux éditions Flammarion en 2020. 

Au Mali, une autre méthode semble avoir été privilégiée, selon les témoignages médiatisés de plusieurs enfants adoptés. L’année dernière, neuf hommes et femmes originaires de ce pays et adoptés en France à la fin des années 80 ont porté plainte contre l’association qui a joué les intermédiaires. Selon eux, leurs parents biologiques, au Mali, n’auraient jamais donné leur consentement à leur adoption en France, présentée comme temporaire. Trente ans plus tard, ces enfants n’étaient toujours pas rentrés, persuadés que leurs parents les avaient définitivement abandonnés.

Si le nombre de victimes de ces adoptions illicites n’est pas connu, Céline Giraud estime qu’elles se comptent, en France, « probablement » en milliers. « Aujourd’hui, on n’a aucun moyen de savoir, mais c’est clair que ça ne se compte pas en dizaine, car au sein de la Voix des Adoptés, nous sommes plus d’une dizaine à être concernés. En centaine ça m’étonnerait aussi », dit-elle en citant une enquête réalisée en mai dernier par son association : « Sur les 203 personnes qui ont répondu, près d’un tiers (29%) a coché la case ‘Je suis certain d’avoir été victime d’une adoption illicite’ ou ‘J’ai des éléments qui me questionnent' ».

Les excuses publiques de la Suisse et des Pays-Bas, où des faits similaires ont été avérés

 

Dans plusieurs pays d’Europe ou en Amérique du Nord, des adoptés se sont déjà fédérés pour dénoncer les pratiques dont ils ont été victimes. La Confédération Helvétique (CH) a présenté en décembre 2020 ses excuses à la suite de la publication d’un rapport de l’administration fédérale reconnaissant de graves irrégularités de la part des autorités cantonales et fédérales au cours de l’adoption de 900 enfants en provenance du Sri Lanka entre 1973 et 1997.

Les Pays-Bas, eux, ont suspendu en février toutes les adoptions à l’international à la suite de la publication d’un rapport public. Faisant suite à une commission d’enquête mise en place en 2018, il révèle que le gouvernement néerlandais n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin aux détournements de procédure d’adoption dans 5 pays (le Bangladesh, le Brésil, la Colombie, l’Indonésie et le Sri Lanka) entre 1973 et 1998. Des excuses ont aux enfants adoptés ont également été présentées au nom du gouvernement.

Une reconnaissance et un accompagnement attendu

 

A la suite de ces signaux encourageants, le collectif Reconnaissance des adoptions illicites en France (Raif) a adressé en février une pétition à l’Assemblée nationale pour demander une commission d’enquête. Elle a recueilli 35.000 signatures. Motivées par cet engouement, la Voix des Adoptés et Enfance et Familles d’Adoption (EFA) se sont donc unies pour faire entendre leur voix sur le sujet et demander la mise en place d’une commission d’enquête indépendante. « Cette commission prendra la forme d’une étude sur les adoptions internationales ayant fait l’objet de procédures considérées de facto viciées avant fin 2006 », écrivent-elles dans un communiqué, qui réclame d’autre part une reconnaissance officielle du caractère illégal de ces procédures et du statut de victime de ces enfants.

Les deux associations voudraient également qu’un dispositif d’aide soit mis en place pour tous les enfants adoptés qui entament des recherches sur leurs origines. « Cet accompagnement serait utile que ce soit pour des questions administratives, juridiques ou pour un soutien psychologique », explique le président de l’association de la Voix des Adoptés, Colin Cadier. « Il faut un minimum de moyens puisque ces accompagnements génèrent beaucoup de questionnements. Surtout quand les dossiers, à l’époque, n’étaient pas toujours complets. Les documents sont retrouvés au fur et à mesure ou peuvent avoir été falsifiés », poursuit-il. « Personnellement, j’ai par exemple dû payer une avocate pour accéder au dossier médical de la maternité brésilienne où je suis né », fait-il savoir. « Moi, je suis née pendant ce conflit armé et les documents ne sont pas clairs. Ils ont été établis de façon très sommaire », rapporte de son côté la vice-présidente de l’association, Julia Noblanc, qui a été adoptée au Guatemala en plein conflit armé, dans les années 80.

Selon une source diplomatique à LCI, la Mission de l’adoption internationale, qui dépend du ministère des Affaires étrangères, est « tout à fait disposée » à collaborer à la commission d’enquête.